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Dénoncer les fraudes fiscales contre rémunération : ces informateurs qui renseignent le fisc

Toute personne qui communique des renseignements à l’administration fiscale sur de possibles fraudes peut être indemnisée. Un dispositif efficace qui a permis aux services de Bercy de récupérer plus de 100 millions d’euros depuis sa création.

Le gouvernement renforce son arsenal de lutte contre la fraude fiscale. Le 9 mai, le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, a dévoilé son plan de bataille pour améliorer l’efficacité des services de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) chargés de traquer les resquilleurs.

Ce plan vient s’ajouter à une série de nouveaux outils dont s’est doté Bercy ces dernières années pour détecter les fraudeurs fiscaux, notamment le développement du datamining (analyse des données) et de de l’intelligence artificielle qui facilitent le ciblage des contrôles.

Mais preuve que les ordinateurs ne font pas tout et que l’humain a encore son rôle à jouer, le système des aviseurs fiscaux brille, lui aussi, par son efficacité. Mis en place à titre expérimental en 2016 et pérennisé par la suite, ce dispositif permet à toute personne étrangère aux administrations publiques d’être indemnisée pour avoir fourni des renseignements permettant aux services de Bercy de détecter un manquement aux règles fiscales.

Lors de sa mise en place, les opposants au dipositif ont dénoncé une "délation rémunérée" et comparé les aviseurs fiscaux à des "indics". Conscient d’être face à un sujet sensible, le législateur a d’abord limité le champ d’action du système des aviseurs à la seule fiscalité internationale et fixé une durée d’expérimentation de deux ans.

Mais le dispositif a finalement été pérénnisé en 2018 en raison de "résultats satisfaisants", soulignait un rapport d’information de la députée Christine Pirès-Beaune, en septembre 2021. Et de citer une première mission d’information qui avait déjà constaté deux ans plus tôt que "les premiers résultats du dispositif témoignent de son positionnement équilibré et de sa réelle efficacité, qui pourrait encore être renforcée".

Les résultats en question faisaient état dès 2019 d’un recouvrement de près de 90 millions d’euros de droits et pénalités, rendu possible grâce aux renseignements de deux informateurs qui ont été rémunérés en contrepartie. L’année suivante, le dispositif a été étendu aux fraudes liées à la TVA. Dans le même temps, le gouvernement a autorisé l’administration fiscale à expérimenter ce même système des aviseurs pour tout autre type de fraude fiscale dès lors que le montant en jeu est supérieur à 100.000 euros. Une expérimentation toujours en cours puisqu’elle a été prolongée de deux années supplémentaires, jusqu’au 31 décembre 2023.

Le dispositif s’est avéré particulièrement rentable pour le fisc. Au 1er septembre 2021, le montant des droits et des pénalités recouvrés grâce aux aviseurs fiscaux avait atteint 110,32 millions d’euros (bien que 90% de cette somme correspondent à une seule affaire, la toute première), alors que l’indemnisation des informateurs "n’a représenté qu’un coût global de 1,83 million d’euros", note le rapport de Christine Pirès-Beaune. Contactée par BFM Business, la DGFiP n’a pas souhaité communiquer de chiffres plus récents.

Entre la création du dispositif et la fin 2020, 24 contrôles fiscaux ont eu pour origine un renseignement fourni par un aviseur. Le nombre de prises de contact avec le fisc dans ce cadre est par ailleurs passé de 27 en 2017 à 71 en 2020. Parmi les dossiers qui ont abouti à une enquête, deux tiers concernaient la fiscalité internationale (comptes bancaires à l’étranger non déclarés, prix de transfert…), un tiers des manquements pour un enjeu fiscal supérieur à 100.000 euros et une poignée des affaires liées à la TVA.

Au total, six aviseurs avaient été indemnisés fin 2021. Initialement, le montant maximum de l’indemnisation avait été fixé à un million d’euros par affaire. Mais ce plafond n’était "pas souhaitable", selon la rapporteure de la mission d’information menée en 2019 car il nuisait, selon elle, à "l’attractivité du dispositif". En conséquence, le gouvernement a décidé de le supprimer l’année suivante. Désormais, un aviseur fiscal peut percevoir jusqu’à "15 % des droits recouvrés dans le cas d’affaires de grande importance".

Mais le montant de l’indemnité reste à la discrétion du directeur général des finances publiques qui, sur proposition du directeur de la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), fixe la rémunération de l’informateur. "Cette solution permet de concilier deux impératifs. Le premier est que le versement de l’indemnité doit être suffisamment rapide pour que cette indemnité soit attractive pour l’aviseur. Le second est que le montant des droits et des pénalités dus par le contribuable doit avoir pu être précisément estimé", relève le rapport de Christine Pirès-Beaune.

En élargissant l’indemnisation des aviseurs fiscaux à tout type de fraude, le risque était de voir les abus se multiplier. D’où le seuil des 100.000 euros fixé pour l’expérimentation qui a étendu le champ d’action du dispositif au-delà de la seule fiscalité internationale.

Le rapport de Christine Pirès-Beaune rappelle à ce titre que l"indemnisation d’informateurs par l’administration fiscale n’avait pas vocation à entraîner des dénonciations de la part de particuliers concernant des manquements mineurs au regard du rendement global de l’impôt collecté". Le gouvernement souhaitait en outre "éviter qu’en cas de conflits dans un quartier ou dans une famille, l’administration reçoive des dénonciations de la part de personnes qui veulent nuire à leur voisin".

À cet égard, les services de la DGFiP n’exploitent jamais les signalements anonymes mais garantissent l’anonymat de l’informateur qui se manifeste. De plus, tous les signalements n’aboutissent pas nécessairement à une investigation. Loin de là. Sur 237 signalements entre 2017 et 2021, la moitié ont été classés sans suite. Soit parce que les renseignements fournis étaient trop imprécis ou anciens (58%), soit parce qu’ils étaient déjà connus (29%), soit parce qu’ils étaient hors du champ de la loi, en particulier lorsque les sommes en jeu étaient inférieures à 100.000 euros.


Aviseurs fiscaux et lanceurs d’alerte

Le dispositif des aviseurs fiscaux ne doit pas être confondu avec le régime juridique encadrant les lanceurs d’alerte. De fait, "le lanceur d’alerte ’révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi’ un crime, un délit ou une violation grave et manifeste d’une convention internationale, d’une loi ou d’un règlement de même qu’une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général dont il a eu personnellement connaissance", note le rapport de Christine Pirès-Beaune.

Le lanceur d’alerte bénéficie de surcroît de protections contre des représailles professionnelles (licenciement, sanctions...), contrairement à l’aviseur fiscal qui bénéficie seulement de la garantie du respect de son anonymat.

Article publié le 31 mai 2023.


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