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La CGT doit apporter un soutien sans ambiguïtés au peuple palestinien

Nous, responsables locaux, militants, syndiqués et/ou simples sympathisants de la CGT, tenons à exprimer notre frustration face aux prises de position ambigües de la CGT confédérale et de ses représentants sur la situation à Gaza et en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023. Nous déplorons tout particulièrement des déclarations susceptibles d’occulter le martyre du peuple palestinien, qui est la victime et non le bourreau depuis 1948, et une perméabilité à la propagande pro-israélienne, qui tend à établir une équivalence entre l’occupant et l’occupé, voire à inverser les rôles entre agresseur et agressé.

Les déclarations de la CGT

Le Communiqué confédéral du 9 octobre intitulé « Pour une paix juste et durable entre Israël et la Palestine » dénonçait une offensive du Hamas « d’une violence inédite, s’en prenant à de très nombreuses cibles civiles », condamnait « cette escalade qui endeuille et prend pour cible des millions de civils israéliens comme palestiniens et dessert la cause palestinienne », et adressait « tout son soutien aux victimes israéliennes et palestiniennes et à leurs familles ».

Le Communiqué confédéral du 18 octobre intitulé « Stopper immédiatement le bain de sang à Gaza », alors que les morts palestiniens se comptaient déjà par milliers, consacrait tout son premier paragraphe à la condamnation du Hamas : il parlait de « frappes terribles en représailles des actes de terreur perpétrés par le Hamas » et condamnait « cette politique du pire qui dessert la cause palestinienne », accusant ce mouvement « qui viole les droits des femmes et multiplie les arrestations arbitraires depuis près de 20 ans » d’imposer « une double peine à l’enclave ». Plus loin, après avoir évoqué le « déplacement d’un million de personnes » à Gaza, il appelait à ce que « La générosité et les dispositions exceptionnelles (de protection temporaire notamment ») mises en œuvre avec raison dans l’accueil aux populations ukrainiennes fuyant la guerre [puissent] s’activer en direction des populations palestiniennes ». En conclusion, la CGT adressait « tout son soutien aux milliers de victimes israéliennes et palestiniennes et à leur famille et exige la libération de tous les otages et personnes injustement détenus ».

Dans un discours du 9 novembre 2023 lors de la commémoration de la Nuit de cristal organisée par le Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, Sophie Binet affirmait « condamner clairement le terrorisme du Hamas, l’assassinat de 1400 civils israéliens et appeler à la libération immédiate des 220 otages ».

Le mensuel de la CGT Ensemble n° 19 du mois de novembre dénonçait « l’action ignoble » du Hamas le 7 octobre, qui constituait un ciblage « par le fanatisme religieux [de] la jeunesse et [de] l’expression de la liberté », « un tournant dans l’horreur » et une « action inédite de par son ampleur et sa barbarie », dont les victimes seraient « en immense majorité des civils ». Au sujet de la rave party Nova, il était affirmé « Au moins 260 personnes tuées, par balle ou à l’explosif, parce qu’elles étaient juives ».

Ces éléments de langage récurrents sont problématiques à plus d’un titre.

Quelques rappels nécessaires

Tout d’abord, il convient de rappeler que les événements n’ont pas commencé le 7 octobre 2023, mais datent de plus de 75 ans. Les 2,3 millions d’habitants de Gaza, dont la moitié sont des enfants, sont majoritairement des réfugiés du nettoyage ethnique de 1948 et de 1967 et leurs descendants, et sont soumis depuis des décennies aux affres de l’occupation, des assassinats, des massacres réguliers et de l’apartheid, ainsi qu’à un blocus impitoyable depuis plus de 15 ans constitutif d’un crime de guerre voire d’un crime contre l’humanité. Tant l’occupation que le blocus constituent un acte d’agression, le crime suprême selon le Tribunal de Nuremberg, face auquel les Palestiniens ont le droit de se défendre, y compris par la résistance armée.

La dernière « escalade » qui a mis le feu aux poudres n’est pas celle du Hamas, mais celle de la formation du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou, allié aux fanatiques religieux, et toutes les politiques suprémacistes qu’il a mises en place pour liquider définitivement la cause palestinienne, notamment la colonisation massive en Cisjordanie, la persécution des prisonniers politiques et les provocations répétées à la mosquée Al-Aqsa.

Il n’est pas acceptable de renvoyer dos à dos une puissance coloniale jouissant du soutien total de la superpuissance américaine et des capitales impérialistes, ainsi que de leur formidable machine de propagande, et un peuple opprimé et sans défense qui lutte pour faire valoir son droit à l’autodétermination, à la sécurité et à la dignité. Il n’est pas acceptable de déplorer les victimes israéliennes avant les victimes palestiniennes, et de faire endosser au Hamas, représentant légitime et démocratiquement élu [1] de la population palestinienne à Gaza, la responsabilité des millions de vies palestiniennes – et seulement palestiniennes – qui sont quotidiennement mises en danger par les frappes israéliennes sans précédent contre la population du camp de concentration de Gaza. Le conflit est asymétrique, et les mouvements armés palestiniens ne sont pas en mesure de faire peser un tel danger sur les populations israéliennes. Faire endosser au Hamas la responsabilité des massacres perpétrés par Israël à Gaza, ce serait comme imputer à la Résistance française la responsabilité des actions de représailles de l’occupant nazi contre les populations civiles. D’autant plus que l’opération du 7 octobre a été pensée et réalisée à l’initiative du Hamas, mais avec la participation directe de toutes les composantes de la Résistance palestinienne à Gaza, y compris des organisations marxistes-léninistes comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, dont était membre le doyen des prisonniers politiques européens, Georges Abdallah) et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP).

Il n’est pas acceptable de condamner les violences « artisanales » des factions de la résistance palestinienne avec la même fermeté, voire davantage, que les violences « industrielles » de l’occupation, bien plus considérables, récurrentes et systémiques, ni de renverser le rapport logique, chronologique, légal et moral entre oppresseur et opprimé, agresseur et agressé, colon et colonisé, occupant et occupé. Lorsque les crimes commis de part et d’autre sont incommensurables, le langage ne doit pas être équivalent, et encore moins condamner plus sévèrement la partie la plus lésée.

Il n’est pas acceptable de qualifier tous les Israéliens, y compris les soldats de l’occupation capturés par la résistance palestinienne d’ « otages », et de parler de « détenus » pour les milliers de Palestiniens emprisonnés par Israël, dont des centaines de femmes et d’enfants, et plus d’un millier de personnes sous le régime arbitraire de la « détention administrative », extrajudiciaire et indéfiniment renouvelable.

Il n’est pas acceptable de prétendre que les Israéliens sont victimes de l’antisémitisme palestinien, et sont ciblés parce que Juifs. Ils sont ciblés parce qu’ils sont considérés comme des occupants, qui privent le peuple autochtone de ses droits les plus élémentaires. Rien ne doit être fait qui puisse sembler cautionner l’assimilation de l’antisionisme à une forme d’antisémitisme, chantage odieux qui permet notamment à Darmanin de considérer comme un acte antisémite et illégal le simple fait de brandir un drapeau palestinien et de manifester son soutien à cette cause. Il n’est pas acceptable de reprendre la propagande génocidaire israélienne sur les « actes de terreur atroces du Hamas » le 7 octobre ayant délibérément causé la mort de « 1 400 civils » (le nombre des victimes israéliennes a depuis été ramené à environ 1 200 personnes). En l’absence des résultats d’une commission d’enquête, qui ne peut survenir qu’après le conflit en cours, et au vu de la censure militaire totale imposée à tous les médias en Israël même en temps de paix, les déclarations de l’armée israélienne terroriste et de son gouvernement fasciste accusant le Hamas d’avoir perpétré des massacres de masse délibérés doivent être traitées avec la même circonspection que les déclarations du Hamas lui-même, qui affirme avoir seulement voulu capturer le maximum d’Israéliens pour libérer les siens, et impute tout crime survenu à d’autres sous-groupes palestiniens ou individus qui se sont engouffrés dans la brèche, ou à l’application par Israël de la fameuse « procédure Hannibal » selon laquelle il faut à tout prix empêcher que des prisonniers tombent vivants entre les mains du Hamas, même si cela implique d’éliminer à la fois ravisseurs et otages. Lorsqu’on considère la liste des victimes publiée par le journal Haaretz [2] , on constate que plusieurs centaines étaient des soldats (sans même parler des miliciens et du fait que les colons sont notoirement armés), un ratio inconcevable pour ce qui est des massacres perpétrés par Israël, où des centaines de civils palestiniens sont décimés pour chaque combattant tué. D’ores et déjà, des rapports d’enquête et témoignages de rescapés, qui circulent publiquement depuis la mi-octobre, accusent l’armée israélienne d’avoir tué ses propres civils via l’usage d’armes lourdes (chars, hélicoptères Apache…) durant les combats intenses à la rave party Nova et dans les kibboutz où les combattants du Hamas étaient retranchés avec leurs otages [3] .

Il n’est pas acceptable de prétendre dicter au peuple palestinien la conduite à adopter pour se libérer du joug de l’oppression et de l’occupation. Si certains actes ne peuvent certes pas être cautionnés, il n’est pas pour autant opportun de les condamner en reprenant la rhétorique israélienne raciste qui déforme les faits, déshumanise les Palestiniens et vise à justifier toutes les représailles imaginables contre eux, surtout en ces circonstances où la solidarité internationale et l’opposition au projet de déportation des habitants de Gaza – que la CGT semble vouloir faciliter en appelant les autres pays à les accueillir comme ils ont accueilli les Ukrainiens, au lieu de s’y opposer catégoriquement – sont capitales pour mettre en échec les projets de « solution finale » du gouvernement Netanyahou.

Rappelons que selon le droit international, il y a un occupant, Israël, et un occupé, la Palestine. Le peuple palestinien a le droit de recourir à tous les moyens pour obtenir sa libération, y compris le recours à la force armée [4] . Quant à Israël, en tant que puissance occupante face à des acteurs non étatiques, selon la Cour internationale de Justice, il ne saurait invoquer le droit à la légitime défense [5]. Tant Gaza que la Cisjordanie sont des territoires occupés au regard des Conventions internationales et des résolutions de l’ONU.

La CGT doit renouer avec son passé anticolonial La CGT s’honore d’avoir jadis soutenu la lutte pour la libération du peuple algérien et le FLN, à une époque où elle ne risquait pas simplement l’accusation d’apologie du terrorisme, qui a notamment frappé plusieurs de nos camarades, mais celle de participation à une entreprise terroriste et d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

Aujourd’hui, la CGT doit avoir une même position de soutien authentique à la Palestine, surtout au moment où Gaza est soumise à une véritable guerre d’extermination et à un projet ouvertement assumé de déporter plus de deux millions de personnes dans le désert du Sinaï. Ces faits mériteraient bien davantage d’être dénoncés avec des épithètes flétrissants et chargés d’émotion, jusqu’à présent largement réservés à la dénonciation du Hamas.

Alors que des bébés prématurés sont morts par dizaines à Gaza du fait des coupures d’électricité délibérées qui ont interrompu l’alimentation de leurs couveuses à l’hôpital al-Shifa, un crime bien réel par opposition à la fable macabre des « 40 bébés décapités », ou aux « couveuses du Koweït » qui ont servi à justifier la première guerre du Golfe (sans parler des armes de destruction massive de Saddam Hussein, tant de mensonges qui appelaient à la circonspection), la CGT doit prendre ses distances avec la propagande guerrière et génocidaire répandue par Israël et ses chambres d’écho médiatiques, rejeter toute pression politique et intimidation judiciaire, et se placer résolument du côté du droit international, de la justice et de la morale. Ne pas prendre clairement position et se contenter de condamner des « crimes de guerre » de part et d’autre, c’est faire le jeu du plus fort.

La CGT doit affirmer sans nuance un soutien ferme et indéfectible à la cause palestinienne, bannissant totalement tous les éléments de langage pouvant établir une quelconque équivalence entre les deux parties, et servir de justification ou de couverture au bain de sang en cours contre Gaza.

Contact pour info et signature : Alain Marshal (alainmarshal2@gmail.com)

Article publié le 31 janvier 2024.


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