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Les salariés de la Macif dans la tornade du management

Des documents internes dévoilés par la CGT, que nous avons consultés, démontrent le glissement de la mutuelle d’assurances vers un encadrement violent des salariés, avec flicage à la clé.

Le nouveau tandem à la tête de la Macif, qui a nommé son comité de direction il y a deux jours, a du pain sur la planche. Et il ne s’agit pas seulement de faire oublier le récent départ de l’ancien président Alain Montarant, parti précipitamment après la divulgation de l’explosion de ses indemnités de mandat (+ 62 %). L’affaire avait provoqué un mouvement de grève inédit dans ce groupe mutualiste pourtant discret.

Si la nouvelle direction est attendue, c’est pour renouer le contact avec ses 10 000 salariés, déstabilisés par des années de transformations profondes qui ont secoué ce paquebot de l’assurance aux 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et aux 5,3 millions de sociétaires-clients. Des bouleversements loin d’être achevés, puisque après le mariage raté avec la Matmut, la Macif va se fiancer avec Aesio, pour constituer un mastodonte de l’assurance des biens et personnes, de la prévoyance et des complémentaires santé.

Des objectifs élevés, voire irréalistes

Ces grands bouleversements stratégiques ont de sévères répercussions sur les salariés. Un rapport, commandé par l’instance de coordination du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du comité central d’entreprise de la Macif, dévoilé il y a un an, relevait déjà des conséquences profondes liées à la nouvelle organisation commerciale des réseaux de distribution des assurances.

S’il pointait le plaisir des personnels à travailler pour le groupe, il soulignait aussi la pression permanente du résultat sur les équipes, la perte de sens liée à la segmentation et à la numérisation des tâches, à l’éloignement des prises de décision et à la fin de la relation sur le long terme avec le sociétaire. Le tout dans un contexte de changements trop rapides et subis, sans prise en compte de la parole des salariés des agences et des plateformes téléphoniques.

Le syndicat CGT du groupe vient d’ajouter une nouvelle pierre dans le jardin de la direction. Lundi, il a dévoilé des documents internes qui montrent comment l’encadrement impose ces changements. Ces comptes rendus internes d’échanges entre un responsable du pôle performance groupe et certains responsables commerciaux ou managers de plateformes de téléconseillers, que nous nous sommes procurés, sont rédigés sans filtre. La forte obligation de résultat y est partout stipulée. Ainsi, un responsable commercial (RC) note en style télégraphique : « modérer l’esprit “conseiller”, “gestionnaire”, pour accentuer l’esprit vendeur ». Les objectifs fixés sont élevés, voire irréalistes. « L’objectif de 8 communications/heure n’est pas atteignable. 7,5 semble plus raisonnable », souligne un RC. Mais le téléconseiller doit quand même atteindre « entre 2 et 2,5 ventes (de contrat d’assurance – NDLR) auto, 1 à 1,5 habitation et 2 garanties accident ».

Les outils informatiques sont autant de moyens de suivre en temps réel leurs performances. « Le superviseur surveille sur CCPulse l’activité en temps réel, renseigne WFM avec les présents/récupérations etc. ​​​​​​​et surveille le tableau de bord de suivis sur attendus/réalisés par plateau », écrit dans un compte rendu un responsable. La composition des équipes de téléconseillers, qui ont vu allonger leur temps de travail à la suite d’un récent accord d’entreprise, ne laisse aucune place au hasard puisque chaque salarié est réparti par catégorie ou « chapeau » : « meilleurs performeurs, performances moyennes, en difficulté, nouveaux embauchés, temps partiels ».

Augmenter le turnover pour éviter le ronron

L’initiative personnelle n’a pas sa place. Un cadre note ainsi les six commandements que ses managers de terrain doivent suivre. Un : « Organisation ! (“chaque cadre sait ce qu’il a à faire par demi-journée avec une vue sur la semaine”) ». Deux : « Pilotage d’indicateurs clés » (taux de conversation, de garde, appel/heure réalisé par rapport aux objectifs). Trois : « Animation autour de la prime d’équipe. » Des challenges et des animations… « 2-3 trucs à gagner ou à manger », note le RC. Qui convient : « Au début, cela coince un peu sur le côté infantilisant, mais après les équipes s’amusent réellement. » Quatre : « Culture de la performance et du résultat. » Cinq : « une méthode : prioriser l’acte managérial. » Six : le cadre managérial « s’impose à tous les managers : tous doivent faire pareil ».

Ce management martial est mobilisé contre l’absentéisme, dont les taux explosent (+ 12 % entre 2017 et 2018, selon la CGT). Mais pas question d’améliorer les conditions de travail. Un RC souligne que le non-respect de la norme des 10 mètres carrés par téléconseiller ne nuit pas forcément à la performance économique. La gestion des absences prend, elle, des airs de flicage qui flirtent avec le droit du travail. « La démarche consiste à “interroger” si possible sur la nature de l’absence. “Tu as rendez-vous quand chez le médeci ?”, “Tu comptes revenir quand ?” », écrit un responsable, avant de préciser : creuser les arrêts maladie permet de détecter parfois les téléconseillers « usés ». Quant au turnover des téléconseillers, dont le taux peut-être très élevé (un poste sur deux était à pourvoir sur un site début 2019, une « hémorragie », s’est exclamé son manager), s’il est vu comme un frein aux résultats – la formation des nouveaux affaiblissant les forces commerciales –, sa portée est à relativiser selon certains managers. L’un d’entre eux note que si le turnover est « fort » sur un site, c’est parce qu’il « est culturel au milieu d’un bassin (…) où les conditions sociales sont dures ». Mais il a aussi son utilité : « Peut-être serait-il souhaitable de l’augmenter un peu pour éviter le ronron », se demande un RC.

La présence syndicale semble en revanche poser problème. Sa gestion relève clairement du bon management. « Le départ prochain (…) de l’équipe après-vente, très active sur le plan syndical, devrait « soulager l’équipe vente de ce plateau », note l’un des encadrants. Un cas pratique de remise en ordre d’une plateforme touchée l’an dernier par des grèves est même cité en exemple (lire l’Humanité du 30 avril 2018) : « Il faut laisser le temps, comme l’a démontré l’expérience sur le Macitel d’Évry-Tech où il a fallu deux ans pour redresser la situation d’un Macitel (…). Il a fallu pour cela passer par des actions fortes, licenciements, changement de managers. »

L’évolution salariale au mérite est devenue arbitraire

« Ces façons de faire sont le signe d’un profond changement de la Macif, débuté depuis vingt ans et en voie d’accélération, analyse Annie Lafarge, déléguée syndicale centrale CGT. Le rapprochement avec Aesio rend encore difficile aux salariés d’envisager leur avenir. Si les bassins d’emplois sont garantis, les incertitudes sur les métiers et les services demeurent. L’évolution salariale au mérite est devenue arbitraire. Et les notions de conseil sont passées au second plan. Le temps où la Macif traitait mieux ses salariés que d’autres entreprises du secteur est révolu. »

Hier, la direction du groupe s’est défendue en soulignant que la « Macif évolue dans un marché en forte mutation ; il doit en permanence s’adapter aux nouvelles contraintes du marché pour apporter le meilleur service à ses sociétaires. L’évolution de l’organisation de la Macif a toujours fait l’objet de consultations auprès de ses partenaires sociaux et le nouveau comité de direction nommé cette semaine continuera de porter une attention toute particulière à l’intégration et au bien-être de l’ensemble de ses collaborateurs ».

Stéphane Guérard

Article publié le 26 septembre 2019.


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