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Exécutif. L’affaire Benalla est loin d’être terminée

Si la Macronie tente tous les jours de tourner la page en ciblant une faute individuelle, les faits établis, en attendant le travail de la justice, mettent de plus en plus en cause l’Élysée.

Circulez, il n’y a plus rien à voir. L’affaire Benalla est terminée. Voilà ce que voudrait faire croire la Macronie. Après avoir accordé ses violons, elle n’en finit plus de répéter qu’il s’agit de l’erreur d’un seul homme. Mardi, le premier ministre, Édouard Philippe, a pensé pouvoir tourner la page de ce scandale, en annonçant aux députés que cette affaire est celle « de fautes individuelles et de petits arrangements entre un chargé de mission et des policiers affectés à la préfecture de police de Paris. C’est inacceptable. Mais ce qui devait être fait l’a été. La démocratie a fonctionné ». Fin de l’histoire, l’incendie est éteint. Pourtant, hier, Richard Ferrand a ressorti son seau d’eau tout en propageant le même discours fumeux. « Il s’agit avant tout d’une faute individuelle », a insisté auprès du Monde le chef de file des députés LaREM. « On est partis d’un pseudo-scandale d’État pour arriver au comportement fautif d’un seul individu », a-t-il ajouté.

Comme si l’affaire Benalla était seulement celle d’un proche collaborateur du président de la République qui prend sur son temps libre pour aller frapper des manifestants un 1er Mai. Cela ferait déjà beaucoup. Mais elle est bien plus que cela : après son comportement inacceptable, Alexandre Benalla a échappé à la justice en étant couvert au plus haut niveau de l’État. Pire : il a poursuivi son ascension, participant à la panthéonisation de Simone Veil et au triomphe des Bleus. Ce fait du prince, au plus grand mépris de la séparation des pouvoirs, a été reconnu par Macron lui-même. « Le seul responsable, c’est moi ! » a-t-il plastronné le 24 juillet.

l’Assemblée nationale ne remettra pas de rapport d’enquête

Ce rôle du chef de l’État avait déjà été pointé lors des auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, et le directeur de cabinet du président, Patrick Strzoda, ont tous reconnu que la chaîne des responsabilités remontait à l’Élysée. Et aucun d’entre eux, ni personne d’autre, n’a déclenché l’article 40 du Code de procédure pénale, selon lequel « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République ». L’affaire Benalla engage donc directement l’État, ce que la Macronie a tenté et tente toujours d’étouffer.Les députés LaREM ne voulaient pas de commission d’enquête parlementaire. Ils ont finalement réussi à la faire imploser en limitant le plus possible le champ des travaux, poussant l’opposition à suspendre sa participation à une « mascarade ». « Aucun frein (n’a été) mis à la manifestation de la vérité », assure pourtant Richard Ferrand, qui argumente que, « comme la vérité qui se dessinait décevait les espoirs de l’opposition, celle-ci a décidé de claquer la porte ». Rien à voir, en somme, avec le comportement de la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, qui a bloqué l’enquête car elle jugeait « inutile » de poursuivre des auditions sur « des dérives individuelles ». Il a même été annoncé hier qu’aucun rapport formel sur l’enquête de l’Assemblée ne serait remis, en « l’absence du corapporteur LR Guillaume Larrivé ».

Voulant poursuivre sur cette lancée, les députés LaREM ont appelé dès mardi le Sénat à clore lui aussi ses activités, au motif que « les travaux d’une commission d’enquête sont automatiquement interrompus par l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création ». Sauf que, si une information judiciaire a bel et bien été ouverte, les travaux du Sénat sur l’affaire Benalla portent aussi sur le « régime des sanctions applicables en cas de manquements ». Les sénateurs estiment que la lumière doit toujours être faite sur le non-recours à l’article 40 et sur la suspension de deux semaines imposée à Benalla qui pose question. D’abord parce qu’elle semble clémente au-delà du raisonnable. Ensuite parce que la retenue sur salaire n’a même pas été appliquée en mai. Enfin parce que Benalla, pendant sa mise à pied, s’est rendu deux fois à l’Assemblée, les 16 et 17 mai. Et si son président, François de Rugy, a depuis diligenté une enquête interne, c’est uniquement pour savoir comment cette information a fuité…

Enfin, la justice enquête aussi bien sur les violences commises le 1er Mai que sur le « détournement d’images de vidéoprotection » par trois policiers, depuis mis en examen. « Pour nous, (il représentait) Macron pour tous les sujets sécurité », a indiqué en audition le commissaire Maxence Creusat pour expliquer la transmission d’images, que Benalla aurait ensuite envoyées à Ismaël Emelien, conseiller spécial du président de la République… Ce qui commence à faire beaucoup de « faute(s) individuelle(s) » pour un « pseudo-scandale d’État », celui d’un exécutif qui a voulu conserver un collaborateur malgré une faute grave, s’est organisé pour la dissimuler, et prétend aujourd’hui qu’il n’y a pas de quoi s’en émouvoir.

Aurélien Soucheyre avec Laurène Bureau et Olivier Morin

Article publié le 2 août 2018.


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