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Service d’ordre. Des barbouzes à Benalla, l’histoire des flics du palais

En réorganisant la sécurité de l’Élysée, Alexandre Benalla s’attelait à un projet qui ressemble à ce qu’ont mis en place d’autres chefs de l’État sous la Ve République.

Benalla, gorille à la main lourde. Benalla, bagagiste. Mais aussi Benalla, expert en réorganisation des services de sécurité du chef de l’État, en qualité d’adjoint au directeur de cabinet d’Emmanuel Macron. Le projet, présenté par courrier aux personnels de la présidence en juillet, était bien avancé et devait sortir du bois en septembre.

L’idée : que le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), composé de quasiment 80 policiers et gendarmes, soit sous la seule autorité de l’Élysée. « Cela signifie que la protection du président pourrait se faire en dehors du tout contrôle, pointe, auprès du Monde, Frédéric Le Louette, président de Gend XXI, association professionnelle de défense des intérêts des gendarmes. L’Élysée aurait la possibilité de confier à des gens sans aucune formation sérieuse, comme Alexandre Benalla, la direction des opérations, sans que personne (ne) puisse intervenir. » D’où les allusions, dès les premières révélations de l’affaire Benalla, à une forme de « police parallèle », en préparation ou en cours (au vu du comportement de l’homme sur les vidéos), qui serait au-dessus des forces de police.

Le SAC impliqué dans des bavures et faits de violences

Ce fait n’est pas nouveau. Le recours à des « barbouzes » a déjà eu lieu sous la Ve République, dans des proportions variables. Le Service d’action civique (SAC), créé en 1960, a été mis en place dans un premier temps pour gérer la sécurité des meetings du parti de Charles de Gaulle, l’UNR, avant qu’il ne suive le général à l’Élysée. Une « association, dont le but officiel était de “défendre et faire connaître la pensée et l’action” du chef de l’État, et le but officieux de le protéger contre la menace de l’OAS », selon Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine, dans une tribune publiée sur le site du Huffington Post. Un service d’ordre, fort de plusieurs milliers d’adhérents, qui s’est illustré dans de nombreuses bavures et faits de violences, jusqu’à l’implication présumée de certains dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka en 1965. Le SAC est dissous en 1982 par François Mitterrand, après la « tuerie d’Auriol », dans laquelle le chef du SAC de Marseille est tué avec toute sa famille après que ses amis l’avaient soupçonné de trahison au profit de la gauche, tout juste arrivée au pouvoir.

L’actuel système de la sécurité présidentielle prend ses sources à cette époque-là.

François Mitterrand installe le fameux GSPR, composé seulement de gendarmes – le socialiste n’ayant aucune confiance dans les policiers. Déjà, mais cela évoluera, il est sous la seule autorité de l’Élysée. Mitterrand crée ainsi sa propre police privée, avec à sa tête Christian Prouteau, fondateur du GIGN en 1974. L’équipe, des « super-gendarmes » qui ne rendent de comptes qu’au chef de l’État, est connue aujourd’hui pour avoir trempé dans plusieurs affaires, de l’arrestation, en 1982, des Irlandais de Vincennes aux écoutes téléphoniques dirigées vers quelque 1 300 personnes, journalistes, adversaires politiques et même artistes. Tout ceci au nom de la protection du chef de l’État, y compris de sa vie privée (et ce pendant près de treize ans), à l’heure où l’existence de sa fille, Mazarine, et son cancer sont tenus secrets. Le système est organisé, sur un temps long. Cette entité semble loin de l’actuel système de sécurité. Seulement, pour Jean Garrigues, l’affaire Benalla « met une fois de plus en lumière les dérives récurrentes du pouvoir présidentiel sous la Ve République ». La « sortie de route » du chargé de mission peut surtout rappeler ces deux polices passées sur un point : elles ont été « couvertes à l’époque par la soi-disant raison d’État ».
« Croiser la protection officielle et militante du président » 

Autre parallèle, la volonté du chef de l’État de s’entourer d’hommes de confiance. La présence de certains membres du SAC auprès de De Gaulle remonte au service d’ordre du RPF des années 1940, quand celle d’Alexandre Benalla auprès d’Emmanuel Macron prend sa source lors de la campagne présidentielle. Les « agissements » de ce dernier démontrent à nouveau, selon l’historien François Audigier sur le site de Slate, « toute l’ambiguïté et les risques à croiser la protection officielle et militante du président », avec parfois ce « bascule(ment) dans l’hybris », davantage encore parce qu’il « aura bénéficié longtemps de passe-droits en raison de son double statut ambigu », poursuit-il. Lundi, lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat, Lionel Lavergne, chef du GSPR, a pourtant assuré que Benalla, par ailleurs habilité secret défense, « n’avait aucune autorité sur le GSPR et n’occupait aucune fonction de protection du président de la République », mais opérait comme « chef d’orchestre » des déplacements présidentiels. Ce que viennent contredire les déclarations devant les enquêteurs, publiées hier par le Monde, des fonctionnaires poursuivis pour avoir communiqué au chargé de mission des images des caméras de la préfecture de police, installées place de la Contrescarpe. Leur acte, appuient-ils, vient de la position élevée de Benalla.

« Pour nous, (il représentait) Macron pour tous les sujets sécurité », indique en audition le commissaire Maxence Creusat. Yves Lefebvre (Unité SGP police FO) a été plus direct le 24 juillet devant les sénateurs : « Il semblerait qu’au sein du GSPR, nous avions un groupe de personnels hors police et gendarmerie, donc hors du champ de la mission régalienne de sécurité, qui étaient des civils, des privés. C’est pour cela que j’emploie le terme de barbouzes ». Pour lui, rien de moins que des hommes « employés par Benalla » qui n’avaient « aucune habilitation ».

Audrey Loussouarn

Article publié le 2 août 2018.


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