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Visas dorés. « Il y a toute la chaîne de l’évasion fiscale »

Le Salon international de l’émigration et de l’immobilier de luxe à Cannes, qui se tiendra en novembre, met en lumière la pratique des visas dorés, nouvel outil pour l’évitement fiscal.

« Le Salon international de l’émigration et de l’immobilier de luxe ? Ah oui, j’en ai entendu parler ce matin sur France 2. On y est exposant ? Vous êtes sûr ? Je vais me renseigner et vous rappelle. » Chez Deloitte, comme chez PwC, les responsables de la communication français de ces grands cabinets semblent peu au fait du salon cannois qui se tiendra les 9 et 10 novembre et qui a fait la une de l’Humanité de jeudi. Ils sont pourtant inscrits sur le site de l’événement. Il faut dire que l’exposition ne s’adresse pas au grand public français, mais aux millionnaires russes, chinois ou ukrainiens qui souhaitent placer leurs fonds dans des paradis fiscaux, dans des propriétés de luxe, ou acquérir un passeport avantageux. « En 2017, on a connu la plus grande augmentation du nombre de milliardaires jamais vue. Les inégalités explosent dans les pays émergents et cette nouvelle élite fortunée ne veut pas payer ses impôts, déplore Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam. Malheureusement, avec la mondialisation économique, ils profitent aussi de la mondialisation de l’évasion fiscale. » Bien que peu connu, l’événement figure néanmoins dans les agendas de la ville de Cannes. « Dans ce salon, c’est toute la chaîne de l’évasion fiscale qui est présente », résume Manon Aubry.

Un événement indécent et tapageur

À la découverte de son existence, Attac a lancé le branle-bas de combat. « On va voir ce qu’on peut faire, assure Raphaël Pradeau, économiste et membre du conseil d’administration de l’association. Le problème est que Cannes n’est malheureusement pas la ville où il y a la plus grande densité de militants d’Attac et que l’échéance reste proche. » L’information circule parmi les militants. « Au minimum, on va communiquer dessus. Ce sera en tout cas à l’ordre du jour du prochain bureau d’Attac lundi », poursuit Raphaël Pradeau.

Ce salon témoigne de l’ampleur que prennent les programmes de résidence par investissement : plus de 6 000 passeports et 100 000 permis de résidence ont été vendus dans l’UE. Ce sont des visas dorés, comme les appellent les deux ONG qui ont travaillé sur la question, Transparency Inernational et l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) – une ONG russe de lutte contre la corruption. La seule publication existante sur le salon de Cannes provenait d’ailleurs de cette dernière, puisque l’OCCRP avait réussi à infiltrer une journaliste au salon cannois de 2017, dans le cadre de son enquête sur les visas dorés et la corruption. Elle s’étonnait déjà de l’indécence tapageuse de l’événement, alors à l’Hôtel Barrière le Majestic. « Outre le côté bling-bling de Cannes et de la Côte d’Azur qui peut plaire à ces nouveaux millionnaires, c’est assez intéressant de noter que ce salon se passe en France, alors que les Français ne sont pas la cible. Il ne s’y serait peut-être pas tenu avant l’élection de Macron et le règne de l’argent décomplexé », souligne Raphaël Pradeau. « Tant que les émigrés ne sont pas des Érythréens ou des Syriens… mais des millionnaires, ça va. On voit quand même toute l’hypocrisie de ces pays », ironise-t-il.

De fait, si l’île de Saint-Christophe-et-Niévès monnaye depuis 1984 sa nationalité, ces dernières années le phénomène a explosé en Europe. Chypre, Malte, la Grèce, la Lituanie, la Hongrie, l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni… Tous se sont mis à vendre nationalité ou permis de séjour. « C’est un processus qui s’est développé récemment à grande échelle en réaction à la mise en place de l’échange automatique d’informations, explique Manon Aubry. De nombreux pays se sont engagés à envoyer les informations fiscales au pays d’origine. D’où l’intérêt des nationalités multiples. Concrètement, c’est un nouvel outil pour contourner les lois, et pour avoir toujours un temps d’avance sur la régulation. » De son côté, Transparency International veut interpeller l’Union européenne et la Commission de toute urgence sur le problème des visas dorés. Si dans le microcosme bruxellois le problème n’est pas inconnu, l’ONG a conscience qu’il faut informer et mobiliser le grand public pour peser sur les décisions. « Bruxelles doit définir des normes pour ces programmes et veiller à ce qu’elles soient respectées dans tous les États qui offrent ces permis de citoyenneté et de résidence à des fins d’investissement », demande ainsi Transparency International.

Pierric Marissal

Article publié le 12 octobre 2018.


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