vous êtes ici : accueil > Actualités > Opinions
Les frappes menées par l’armée israélienne contre des agences de Qard al Hassan, une banque associative affiliée au Hezbollah disposant de plus de 30 succursales au Liban, violent probablement le droit international humanitaire et doivent faire l’objet d’une enquête en tant que crimes de guerre présumés, a déclaré Amnesty International le 22 octobre.
Selon les lois de la guerre, les succursales des institutions financières sont des biens de caractère civil, à moins qu’elles ne soient utilisées à des fins militaires. En conséquence, ces attaques constituent apparemment des attaques directes contre des biens de caractère civil.
À 20 h 55 le 20 octobre 2024, le porte-parole arabophone de l’armée israélienne a annoncé sur X (anciennement Twitter) que les forces de cette dernière allaient commencer à « attaquer des infrastructures appartenant à Qard al Hassan qui appartient au Hezbollah », et conseillé à la population d’évacuer immédiatement ces agences. La première frappe a été signalée 35 minutes plus tard, vers 21 h 30. Un média public libanais a fait état d’un total de 11 frappes sur des bâtiments de Qard al Hassan dans la banlieue sud de Beyrouth, et sur plusieurs autres succursales situées dans d’autres régions, notamment dans le sud du pays et dans la plaine de la Bekaa.
Qard al Hassan, qui dispose d’un agrément du gouvernement libanais pour mener ses activités, est actuellement la plus importante organisation spécialisée dans l’octroi de microcrédits au Liban. De nombreux civil·e·s libanais, principalement chiites, utilisent ses services pour emprunter sans intérêt de petites sommes. Un grand nombre de personnes de diverses confessions ont de plus en plus recours à Qard al Hassan afin d’emprunter de l’argent pour payer des frais éducatifs ou médicaux ou encore pour des petits commerces, en particulier depuis l’effondrement du secteur bancaire au Liban en 2019. Le Liban est sous sanctions des États-Unis depuis 2007.
« Les forces israéliennes ont visé une institution qui représente pour d’innombrables civil·e·s libanais une bouée de sauvetage économique. À cela s’ajoute le signal d’évacuation donné moins de 40 minutes avant le début des frappes. Ces deux faits témoignent du mépris dans lequel Israël tient le droit international humanitaire. Même si, comme l’affirme l’armée israélienne, cette institution contribue au financement du Hezbollah, elle ne correspond apparemment pas à la définition d’un objectif militaire, en particulier en ce qui concerne ses agences qui offrent leurs services à une clientèle civile », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice générale de la recherche, du plaidoyer, de la politique et des campagnes à d’Amnesty International.
« Le droit international humanitaire interdit de mener des attaques contre des civil·e·s et des biens de caractère civil. Une enquête internationale doit être menée d’urgence sur les attaques menées contre Qard al Hassan. Dans l’intervalle, l’armée israélienne doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie des civil·e·s, et elle doit respecter strictement le droit international humanitaire. Les forces israéliennes doivent bien faire la différence en toutes circonstances entre les objectifs militaires et les biens de caractère civil. Israël doit abandonner la définition des objectifs militaires qui est tellement large qu’elle comprend les agences d’une institution financière. »
Selon le droit international humanitaire coutumier, un bien doit remplir deux conditions pour être considéré comme un objectif militaire. D’une part, il doit apporter une contribution effective à l’action militaire par sa nature, son emplacement, sa destination ou son utilisation. D’autre part, sa destruction doit offrir un avantage militaire précis dans les circonstances qui règnent à ce moment-là.
Le droit international humanitaire interdit les attaques directes contre des « biens de caractère civil » tels que des maisons, des appartements, des commerces et des boutiques, à moins que ces bâtiments ne soient utilisés à des fins militaires. Les liens qui les rattachent au Hezbollah ne sont pas suffisants pour considérer comme des objectifs militaires un bâtiment civil ou les civil·e·s qui se trouvent dans ce bâtiment.
De nombreuses agences de Qard al Hassan sont situées dans des immeubles d’habitation et au milieu de zones résidentielles densément peuplées. Des centaines d’habitant·e·s ont dû s’enfuir de chez eux à la suite des avis d’évacuation diffusés par l’armée israélienne.
Un haut responsable des services du renseignement israélien a déclaré à la presse qu’en plus d’entraver la capacité du Hezbollah à fonctionner et à reconstruire après la guerre, « le principal objectif est d’affaiblir la confiance entre le Hezbollah et une grande partie de la communauté chiite qui utilise cette association en tant que banque ».
L’affaiblissement de la confiance entre le Hezbollah et la communauté chiite ne constitue pas une justification licite pour le ciblage militaire de cette institution financière.
Liban : Les frappes israéliennes contre un groupe financier sont des crimes de guerre
Les attaques israéliennes menées dans la nuit du 20 octobre ont touché près de 30 immeubles abritant des bureaux appartenant à Al-Qard al-Hassan (AQAH) dans le sud du Liban, dans la banlieue sud de Beyrouth et dans la vallée de la Bekaa, selon les médias. Les responsables israéliens ont affirmé qu’Al-Qard al-Hassan fournit des fonds au Hezbollah, lequel est engagé dans un conflit armé avec Israël, sans toutefois maintenir que le groupe financier est lui-même directement impliqué dans les hostilités. L’utilisation par un groupe armé d’une institution financière, d’une association ou d’une banque ne constitue pas une contribution effective à une action militaire ; une telle structure ne constitue donc pas une cible militaire légale, en vertu des lois de la guerre.
« Les frappes répétées de l’armée israélienne contre des institutions financières libanaises constituent une attaque délibérée et illégale contre la branche civile du Hezbollah », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch. « Désigner une institution civile comme cible militaire en raison de son affiliation, plutôt que de sa contribution effective à une action militaire, met en danger toutes les opérations commerciales en temps de guerre. »
Les médias libanais ont signalé au moins trois frappes contre des bureaux d’Al-Qard al-Hassan dans la banlieue sud de Beyrouth, l’une d’entre elles ayant entraîné l’effondrement d’un immeuble de grande hauteur. D’autres bâtiments abritant des bureaux d’Al-Qard al-Hassan ont été frappés dans le sud du Liban, dans la vallée de la Bekaa, à Baalbek dans l’est du Liban, ainsi qu’à Hermel dans le nord du pays.
Un haut responsable des services de renseignement israéliens a déclaré aux médias que « le but de ces frappes [contre Al-Qard al-Hassan] est de cibler la capacité du Hezbollah à fonctionner pendant la guerre et [par la suite] … ainsi que l’emprise du Hezbollah sur de larges pans de la société libanaise ». Le 22 octobre, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant a affirmé ceci sur X : « La dégradation des capacités du Hezbollah nécessite une campagne à la fois militaire et économique ».
Dans une vidéo publiée sur son compte X le 20 octobre, Avichay Adraee, le porte-parole de l’armée israélienne en langue arabe, a déclaré que « la plupart des sources de financement iraniennes et des revenus indépendants du Hezbollah sont déposées et gérées au sein des branches de l’association Al-Qard al-Hassan ». Adraee a déclaré que cette institution participe au financement des activités du Hezbollah contre Israël, et qu’elle est donc considérée comme une cible militaire. Tout au long de la soirée du 20 octobre, l’armée israélienne a émis au moins 24 avertissements visant l’évacuation de divers bâtiments dans le sud du Liban, la banlieue sud de Beyrouth, la vallée de la Bekaa et Baalbek.
Deux vidéos, géolocalisées par le collectif open source GeoConfirmed et vérifiées par Human Rights Watch, montrent le moment où une frappe aérienne a conduit à l’effondrement d’un immeuble qui abritait un bureau d’Al-Qard al-Hassan à Chiyah, dans la banlieue sud de Beyrouth. Une troisième vidéo vérifiée, tournée le lendemain, montre les décombres du bâtiment. Human Rights Watch a aussi examiné des photographies publiées par le site al-Nahar, qui montrent les dégâts causés aux alentours, et des documents avec le logo d’Al-Qard al-Hassan éparpillés sur le sol.
Deux autres vidéos, également géolocalisées par GeoConfirmed et vérifiées par Human Rights Watch, montrent d’autres immeubles liés à Al-Qard al-Hassan en proie aux flammes au sud de Beyrouth, à Bourj al-Barajneh et à Laylaki.
L’entité Al-Qard al-Hassan, affiliée au Hezbollah, est enregistrée en tant qu’association auprès du ministère de l’Intérieur libanais depuis les années 1980. Elle compterait des centaines de milliers de clients qui reçoivent des prêts garantis à taux zéro, d’un montant allant généralement jusqu’à 5 000 dollars. Al-Qard al-Hassan ne dispose pas de licence de la Banque centrale du Liban pour opérer en tant qu’institution financière, comme l’exigerait la loi libanaise sur la monnaie et le crédit ; l’association détient au moins 30 succursales, la plupart dans des zones à majorité chiite de la banlieue sud de Beyrouth, du sud du Liban et de la vallée de la Bekaa.
En 2007, le Département d’État américain a sanctionné Al-Qard al-Hassan en raison de son utilisation par le Hezbollah pour gérer ses « activités financières et accéder au système financier international ». Selon le Département d’État, le Hezbollah utilise Al-Qard al-Hassan pour transférer des fonds « via des comptes fictifs et des facilitateurs » et fournit « des services caractéristiques d’une banque pour soutenir le Hezbollah, tout en échappant à l’obtention de licences et à la supervision réglementaire appropriées ».
Depuis la crise économique de 2019 au Liban, un nombre croissant de Libanais, dont de nombreux musulmans chiites et partisans du Hezbollah, sont devenus clients d’Al-Qard al-Hassan, qui est considérée comme la « plus grande institution financière non bancaire accordant des microcrédits » dans le pays, selon l’Associated Press. En 2021, l’ancien chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé qu’Al-Qard al-Hassan avait accordé 3,7 milliards de dollars de prêts à 1,8 million de personnes depuis sa fondation dans les années 1980.
En 2023, trois députés libanais ont déposé une plainte auprès du procureur général du pays, alléguant qu’Al-Qard al-Hassan se livrait au blanchiment d’argent et à des malversations financières.
Le droit international humanitaire exige que toutes les parties au conflit fassent la distinction entre les objectifs militaires et les civils ou biens civils, et ne visent que les objectifs militaires. Ceux-ci sont définis ainsi : « En ce qui concerne les biens, les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis ».
Bien que les déclarations de l’armée israélienne, du Département d’État américain et de Hassan Nasrallah démontrent qu’Al-Qard al-Hassan a des liens avec le Hezbollah et ses partisans, elle reste un objet civil. La « contribution effective » d’Al-Qard al-Hassan aux actions militaires du Hezbollah est trop atténuée pour fournir un « avantage militaire précis » et constituer une cible légitime. Autoriser de telles attaques signifierait de fait que toutes les institutions financières utilisées par toutes les parties au conflit pourraient devenir des objectifs militaires susceptibles d’être attaquées à tout moment, a déclaré Human Rights Watch.
Les individus qui commettent de graves violations des lois de la guerre avec une intention criminelle – c’est-à-dire délibérément ou par imprudence – peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Les individus peuvent également être tenus pénalement responsables d’avoir aidé, facilité, aidé ou encouragé un crime de guerre. Tous les gouvernements qui sont parties à un conflit armé sont tenus d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par des membres de leurs forces armées ou sur leur territoire.
En avril, le Conseil des ministres du Liban a demandé au ministère libanais des Affaires étrangères de déposer une déclaration auprès du greffier de la Cour pénale internationale (CPI) acceptant la compétence de la Cour sur les crimes graves commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023. Cependant, le ministère n’a jamais donné suite à cette demande et fin mai, le gouvernement a annulé sa décision initiale. Le Liban devrait d’urgence reconnaître la compétence de la CPI, afin de conférer au Procureur de la Cour un mandat pour enquêter sur les crimes internationaux graves commis au Liban.
Les alliés d’Israël devraient suspendre leur assistance militaire et leurs ventes d’armes à Israël, étant donné qu’ils ont été utilisés à plusieurs reprises pour commettre de graves violations des lois de la guerre, a déclaré Human Rights Watch.
« Le ciblage par l’armée israélienne d’associations et de groupes en raison de leur affiliation au Hezbollah viole les lois de la guerre ; en outre, étant donné que ces entités fournissent des services à des centaines de milliers de personnes au Liban, ces attaques risquent aussi de punir des personnes qui dépendent de ces services pour leur vie quotidienne », a conclu Ramzi Kaiss.
Article publié le 31 octobre 2024.