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Un appel de « professionnels anonymes ».
Texte collectif
Nous sommes enseignants, mais aussi CPE, AESH… Salariés modestes ou précaires de l’éducation nationale, nous qui sommes sur le terrain, nous fulminons devant les propos proférés avec tant d’ignorance dans nombre de médias à l’égard de l’école.
Dans un climat qui se fascise, de faux amis qui« refusent la récupération deleurs combats » par l’extrême droite prétendent défendre l’école sans dire un mot de ses destructeurs, des marchepieds des propagateurs de haine. Pendant ce temps, nous sommes confrontés tous les jours aux difficultés d’une éducation que les responsables politiques s’appliquent à dégrader et vilipender pour mieux l’achever.
Professionnels anonymes, nous ne nous rangeons derrière aucune autre fondation « républicaine » que celle de l’école.
Or, la République n’est pas la chasse gardée d’un gouvernement et de ses amis. Ils ne la déterminent pas au gré du vent mauvais, elle ne leur appartient pas. Nous exercions notre métier avant M. Macron et l’exercerons après lui, toujours auprès des élèves, pas pour servir le pouvoir exécutif.
Le nombre d’occurrences du mot « République » chez M. Blanquer, jusqu’à la « tenue républicaine » exigée des jeunes filles, donne le vertige. Le ministre le dévoie à mesure qu’il le scande à tout-va.
L’État est garant des valeurs et principes de la République et ne doit pas les déformer, les jeter en pâture à l’extrême droite. Quand M. Blanquer donne son opinion personnelle en disant que « le voile n’est pas souhaitable dans notre société », le ministre qu’il est s’exprime en dépit du préambule de notre Constitution, qui garantit la liberté de croyance et de culte.
En qualité de fonctionnaires d’État, nous nous y référons pour notre part, car il prévaut aussi bien sur un gouvernement qui chercherait à en dérouter les principes que sur nos propres avis, y compris sur cette République.
Que l’opinion se rassure : notre pays n’est pas en proie à une vague islamiste dans les quartiers populaires et l’exception n’est pas la règle. Les quelques jeunes filles portant le voile le retirent spontanément à la grille du collège ou du lycée, car c’est le sens bien compris de l’école laïque, que nous défendons. Quant aux écarts, nous les traitons sans laxisme, nous ne nous indignons pas, nous, par opportunisme. Justement, la dernière campagne pour la laïcité nous a choqués, qu’elle relève d’une affligeante méconnaissance – nous ne pouvons y croire – ou d’un coupable dessein. D’abord, elle ne définit jamais la neutralité qui s’impose à l’État et à ses représentants vis-à-vis des Églises depuis 1905. Ensuite, elle renvoie les élèves à leur couleur de peau ou à leur prénom, qui les rendraient a priori suspects.
Jetant aussi la suspicion sur les opposants, le néologisme « islamo-gauchisme » ne recouvre aucune réalité et nous fatigue. La sémantique dissimule les vrais enjeux et place nombre de politiques et de leurs relais hors de la République : nous ne supportons plus leurs expressions péjoratives telles que « droits-de-l’hommisme », « gauchisme » ou « wokisme », qui se moquent des valeurs qui nous fondent ou fustigent de libres opinions.
Notre République combattrait-elle les droits de l’homme, brisant ainsi son socle, quitte à s’effondrer ? Promouvrait-elle les discriminations, le colonialisme ou le négationnisme ? Assume-t-elle de n’être plus sociale et pluraliste ? Criante d’antirépublicanisme, la récente une duFigaro Magazineet le manque de réaction de notre ministre nous font craindre les réponses.
Alors oui, nous sommes de gauche, celle qui ne se vautre pas dans la fange identitaire, qui ose célébrer la Commune et qui pense que le 4 août 1789 n’a décidément pas aboli tous les privilèges. À l’heure où l’on s’attaque aux plus vulnérables plutôt qu’aux millionnaires des Pandora Papers, oui, nous nous réclamons d’une gauche qui ne piétine pas son héritage, de Jaurès à Croizat, qui n’usurpe pas le mot « socialisme » en se moquant de Marx alors que le capitalisme cause tant de dégâts, notamment à l’École.
Incarné par de zélés serviteurs, c’est bien l’aboutissement de ce système économique qui mine l’école publique et qu’il nous faut changer : il la privatise, la caporalise et efface son caractère national, il induit une scolarité anxiogène et des salaires honteux, il empêche d’alléger les classes, d’embaucher massivement, d’inclure réellement les élèves en situation de handicap, de rénover nos locaux… Pour y parvenir, il ment, brise le paritarisme, méprise et fait diversion à coups de polémiques, pactisant ainsi avec le pire.
À l’opposé de ces logiques, nous pensons qu’enseigner est un noble métier, malgré les réformes qui le vident peu à peu de son sens. Si nous avons choisi l’école de la République, c’est parce qu’elle doit être le lieu serein de l’émancipation par le savoir, pas le creuset des inégalités et des stigmatisations. L’école est une richesse qui rassemble par-delà les différences et nous croyons profondément aux valeurs gravées sur nos frontons, que nous voudrions concrètes.
Nous refusons donc les débats funestes et continuerons à transmettre l’esprit des Lumières contre l’obscurantisme d’aujourd’hui, l’humanisme contre l’intolérance, la démocratie contre le totalitarisme, la diversité contre la pensée unique et l’histoire contre l’oubli.
Nous continuerons à nous battre pour enfin donner à l’école les moyens de ses missions ! Nous continuerons à nous engager contre l’extrême droite et la diffusion de ses idées, où qu’elles soient !
Article publié le 24 décembre 2021.