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Le conflit entre l’Ukraine et la Russie se répercute jusqu’en Afrique

Kiev a qualifié de peu prévoyante la décision du Mali de rompre ses relations diplomatiques avec l’Ukraine. Le ministère ukrainien des Affaires étrangères rejette les accusations de soutien au terrorisme international en lien avec un incident dans le nord de ce pays africain.

Plus tôt, les autorités maliennes avaient annoncé la rupture des relations diplomatiques avec l’Ukraine. Le Mali a réagi "avec grande surprise" aux propos du porte-parole de la Direction générale du renseignement (GUR) du ministère ukrainien de la Défense, Andriy Yusov, sur l’implication du pays dans des attaques de groupes armés contre les Forces de défense et de sécurité du Mali. Ainsi, le conflit russo-ukrainien s’est étendu au continent africain, ce qui aura de graves conséquences pour Moscou, Kiev, et les pays de la région.

Au cours des deux dernières années, les politiciens ukrainiens ont souvent reproché aux représentants du Sud global, en particulier de l’Afrique, de ne pas accorder suffisamment d’attention à leur conflit avec la Russie, de ne pas prendre une position plus claire et condamner sans équivoque Moscou, notamment lors des votes à l’ONU. Aucun État de ce continent n’a imposé de sanctions contre la Russie, et les critiques officielles des capitales africaines sont extrêmement rares. Les experts régionaux expliquent cette situation par plusieurs raisons.

Premièrement, l’Afrique est confrontée à de nombreux conflits internes, souvent anciens et sanglants, et pour ses habitants, une guerre européenne lointaine n’est pas un évènement si important, elle attire peu leur attention. Et même si elle l’attire, c’est à peu près autant que les Européens prêtent attention aux combats dans l’est de la République démocratique du Congo, où, soit dit en passant, le nombre de victimes se compte par centaines de milliers et les réfugiés par millions. Deuxièmement, depuis l’époque soviétique, Moscou suscite le respect et la sympathie dans de nombreux pays africains.

En ce qui concerne l’Ukraine, elle est peu connue sur le continent et l’idée de rompre avec un pays perçu comme un allié dans la lutte contre le colonialisme pour ses intérêts, même sous la pression occidentale, est difficilement envisageable.

Kiev a donc décidé de rectifier la situation. La GUR a effectivement reconnu son implication dans la guerre civile au Mali aux côtés des séparatistes touareg. Cette déclaration a été immédiatement publiée sur le site de l’ambassade d’Ukraine au Sénégal, la mission diplomatique de Kiev la plus proche du Mali. Ainsi, les autorités ukrainiennes affirment que l’Afrique n’est plus un continent lointain pour elles et qu’elles sont prêtes à devenir un acteur actif des conflits dans la région. Mais à condition que la Russie y soit impliquée et qu’elles puissent soutenir ses opposants.

La semaine dernière, Le Monde a rapporté que les services de renseignement ukrainiens entraînaient des séparatistes au Mali. "Les services spéciaux ukrainiens ont formé des rebelles maliens au maniement de petits drones artisanaux chargés d’explosifs", a indiqué Le Monde se référant à ses sources. La formation avait lieu à la fois sur le territoire ukrainien et dans la région malienne de Tombouctou.

Ce qui s’est passé au Mali n’est pas un cas isolé : auparavant, des représentants des forces de sécurité ukrainiennes avaient diffusé des informations sur leur participation à la guerre civile au Soudan, bien évidemment contre les forces soutenues par le Kremlin. Cependant, cet épisode n’a pas suscité de scandale, car le conflit soudanais n’impliquait pas Al-Qaïda.

Alors que la situation au Mali est différente. Les forces gouvernementales y combattent des combattants de groupes djihadistes radicaux. En 2013, la France, avec le soutien de ses alliés occidentaux, a dû mener une vaste opération militaire contre eux et contre ces mêmes séparatistes touareg que l’Ukraine affirme aujourd’hui soutenir et qui sont devenus une épine dans le pied non seulement pour le Mali, mais aussi pour de nombreux pays de la région confrontés à un problème similaire. Pour les autorités ukrainiennes, ces détails sont insignifiants par rapport à la possibilité de faire une déclaration retentissante, en affirmant qu’à travers l’Afrique, Kiev a atteint les combattants du groupe Wagner soutenant les autorités maliennes et les a aidés à subir une défaite.

Les répercussions ont été immédiates. Les autorités maliennes ont pris la décision la plus radicale, à savoir rompre les relations diplomatiques avec l’Ukraine. Les autorités sénégalaises ont convoqué l’ambassadeur ukrainien pour protester contre la "publication provocatrice" sur le site de la mission diplomatique. Les médias africains soulignent que Kiev n’hésite pas à admettre ouvertement sa coopération avec les séparatistes et les radicaux islamistes, qui sont particulièrement mal vus non seulement par les autorités maliennes, mais également par au moins une dizaine d’États d’Afrique de l’Ouest.

Quelles pourraient être les conséquences de cette histoire pour Moscou ? La mauvaise nouvelle est que désormais, il semble que partout dans la région, les activités de la Russie seront confrontées aux révélations ukrainiennes, et il n’est pas exclu que cela se fasse avec le consentement tacite de l’Occident. La bonne nouvelle est que, dans leur quête d’effet médiatique, les autorités ukrainiennes perdent leur sens de la mesure, prêtes à faire des déclarations risquées et frôlant la limite. Cela ne contribuera guère à renforcer le prestige de l’Ukraine aux yeux des élites africaines et du Sud global dans l’ensemble

Thierry Bertrand

Article publié le 30 août 2024.


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