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McKinsey ou la volonté d’intervenir dans des domaines régaliens

McKinsey, sur son site officiel ne se cache pas de vouloir « aider » les États à « relever » les défis dans des domaines aussi divers que la défense ou la sécurité publique dans le monde entier. Cette aide pourrait paraître d’autant plus alléchante pour les tenants du dogme de la baisse des dépenses publiques que McKinsey affirme être en mesure de proposer des stratégies idoines tout en réduisant les dépenses.

Mettre sous tutelle idéologique ultralibérale l’administration publique

Sous une apparence de stricte neutralité, ce cabinet promet d’améliorer l’efficacité des ministères de la Défense, des forces de police, des ministères de la Justice, du système pénitentiaire. Le langage utilisé par ce cabinet révèle bien la philosophie de son action : tous ces secteurs régaliens qui devraient être le domaine réservé des services de l’État ou des services publics sont considérés comme des marchés et les États comme des clients, les fonctionnaires qui travaillent dans ces secteurs comme du « capital humain ». Les processus administratifs, selon eux, doivent être transformés pour s’adapter au new management capitaliste qui ne correspond pas à la culture de service public qui vise, en priorité, la recherche de l’intérêt général. Le prétexte invoqué paraît anodin et semble relever du « bon sens » : mieux tirer parti de la technologie, favoriser la collaboration entre les services et transformer leur organisation. C’est oublier vite que toute organisation, toute technique ou technologie sous-tend une vision de la société. Celle de McKinsey est en phase avec la mise sous le boisseau du marché libre et concurrentiel de tous les services d’intérêt général qui représentent une manne financière des plus conséquentes pour la finance qui lorgne sur les profits juteux espérés par leur privatisation.

Voici ce que nous pouvons comprendre de la doxa avancée sur le site de McKinsey :
Armée et défense

McKinsey est, de fait, le cheval de Troie de l’intégration atlantiste puisque, sans se cacher, il propose ses services aux pays membres de l’OTAN afin d’améliorer leur efficacité sur tous les fronts terrestres, aériens et navals. Il est clairement suggéré d’identifier les obstacles organisationnels au changement. À n’en pas douter, font partie de ces obstacles l’esprit d’indépendance, la conscience civique de la vertu au sens où l’entendait Montesquieu dans un régime républicain, « le souci de l’intérêt général ».

Dans l’économie

Il s’agit de favoriser la croissance dont l’objet et les impacts sur la prédation de la nature et l’exploitation des êtres humains ne sont pas questionnés :

Avenir du travail : développer le capital humain et réformer les programmes de protection sociale. Ainsi, sont – potentiellement – mis en cause la sécurité sociale, le droit du travail et des travailleurs, la retraite…
Investissements : augmenter les investissements privés dans le pays. Il faut faire le lien avec le point précédent. Il faut, sans doute, remettre en cause, le système social français, le système de prélèvements sociaux pour être plus attractif.

Dans l’éducation

De la petite enfance à la 12e année : améliorer l’apprentissage et le bien-être des enfants. Qui peut être contre ? Est passé sous silence le fait, qu’à côté de la formation d’individus qui pourront s’intégrer dans le monde du travail, la mission essentielle de l’école devrait être de former des esprits libres, des citoyens conscients et éclairés et non de les conformer à des dogmes religieux, politiques ou idéologiques, former des adultes qui pourront choisir leurs propres voies, construire leurs propres opinions… Est-ce compatible avec une société de consommateurs influencés par des publicités dont le rôle est d’assurer la croissance illimitée ?
À l’Université : améliorer les résultats des étudiants et garantir la viabilité financière. Est-ce pour permettre aux étudiants et chercheurs de passer du temps à leurs études plutôt qu’à chercher des mécènes privés pour les financer ou à trouver un travail en parallèle pour payer les études ? Vu l’état d’esprit des réformes inspirées par ce cabinet nous pouvons en douter.
Philanthropes : chercher des entreprises pour la mise en place de soutiens innovants et des outils informatiques afin d’augmenter l’efficacité des établissements d’enseignement supérieur. C’est la garantie d’une mainmise du privé sur l’orientation des recherches et des études vers des applications à court terme alors que l’État devrait investir massivement afin de préserver l’indépendance des Universités par rapport aux lois du marché.

Aux ministères des Finances

McKinsey, soi-disant neutre en réalité idéologiquement bien marquée par le fer rouge de l’ultralibéralisme, propose ni plus ni moins, dans presque tous les domaines, son expertise pour aller toujours plus vers une organisation de la société qui doit passer sous Les Fourches caudines des lois du marché.

Il est proposé de passer d’un ministère réactif, basé sur les transactions, à un façonneur stratégique d’élaboration des politiques qui agit en tant que gardien de l’efficacité des dépenses publiques. Belles paroles creuses qui évitent de poser la question de la justice fiscale. Faut-il proposer un système fiscal réellement progressif en lieu et place d’un système régressif qui fait que les prélèvements obligatoires pèsent plus lourd sur les classes populaires et moyennes basses ? Faut-il combattre efficacement contre l’évasion fiscale ? Certes non puisque ce cabinet est expert en la matière.

Sous un vocabulaire ronflant, McKinsey, soi-disant neutre en réalité idéologiquement bien marquée par le fer rouge de l’ultralibéralisme, propose ni plus ni moins, dans presque tous les domaines, son expertise pour aller toujours plus vers une organisation de la société qui doit passer sous Les Fourches caudines des lois du marché.

Le recours à des cabinets privés n’est pas accidentel

Il serait pour le moins naïf de penser que cette affaire délétère pour notre démocratie et les principes républicains dans leur acception française est un accident. L’affaire McKinsey est consubstantielle du capitalisme financier, national et mondialisé et est révélatrice d’un système oligarchique dont le nouvel élu à la présidence de la République, M. Macron, en est un soutien et un promoteur efficace. Ce dernier a su utiliser le soutien complaisant de la majorité des médias, y compris Marianne dont le propriétaire, contre l’avis de la société des rédacteurs, a imposé une couverture simpliste voire simplificatrice, l’épouvantail Le Pen pour effrayer et contraindre moralement à voter Macron.

Rapport d’enquête parlementaire aux États-Unis : le scandale des médicaments opioïdes

La France n’est pas la seule à être gangrenée par ce type de cabinet de conseil privé. Un rapport d’enquête parlementaire américain accable McKinsey. Ce rapport fait suite au constat d’une épidémie dramatique provoquée par l’addiction aux médicaments opiacés, addiction favorisée par une stratégie élaborée par McKinsey pour le compte de plusieurs laboratoires pharmaceutiques :

500 000 morts par surdosage aux États-Unis entre 1999 et 2018 ;
650 000 prescriptions d’opioïdes tous les jours aux USA ;
2 millions de personnes sont dépendantes et pas moins de 90 personnes meurent chaque jour de cet usage immodéré ;
4/5 des consommateurs d’héroïne ont commencé par le médicament à base d’oxycodone du laboratoire Purdue Pharma, depuis 1995.

Comme toujours aux USA, pays de l’argent roi, McKinsey accepte, en 2021, de payer 573 millions de dollars afin d’obtenir un compromis avec la justice étasunienne. Est-ce qu’une partie des millions issus de l’évasion fiscale en France finance ce compromis ? Le conflit d’intérêts, comme en France, paraît patent. L’entrisme de McKinsey dans l’administration étasunienne lui a permis de faire nommer un ancien « partner » de la firme, un certain Paul Mango, adjoint du Secrétaire d’État à la Santé pour les questions réglementaires… C’est ainsi que la commission parlementaire a identifié pas moins de 37 projets stratégiques pour le compte de la FDA (agence fédérale en charge d’approuver la mise sur le marché des médicaments). Les consultants de McKinsey aidaient Purdue Pharma à obtenir les autorisations nécessaires pour la mise sur le marché de ses médicaments hautement addictifs et les dirigeants de McKinsey se vantaient, auprès du PDG de même laboratoire, de leurs liens avec des gens bien placés à la FDA…

La domination américaine sur l’économie mondiale, et la globalisation ont facilité l’implantation de nombre de ses activités dans 67 pays, dont la France. Dans le même temps, McKinsey a trouvé un nouveau filon bien juteux : conseiller les administrations publiques. Cela lui a été d’autant plus aisé que la tendance majoritaire des gouvernements ultralibéraux ne jure que par le dogme selon lequel « l’État et ses fonctionnaires ne sont pas la solution, mais le problème ». Après quarante ans d’esprit « reaganien » et « thatchérien », on commence à entrevoir que ces privatisations à outrance de l’action publique sont sources de conflits d’intérêts majeurs. La république a été instaurée pour séparer la chose publique de la chose privée, pour mettre à bas la monarchie dans laquelle le roi confondait sa caissette personnelle et les impôts pour lesquels il n’a pas à rendre compte.
Deux conceptions de la république et de la démocratie

Cette affaire McKinsey symbolise, fondamentalement, la fracture entre deux conceptions de la république et de la démocratie : une conception anglo-saxonne qui atomise la société et une conception française qui donne la priorité à la notion d’intérêt général.

Un texte rédigé par Régis Debray en 1995 illustre bien la différence de nature entre la démocratie anglo-saxonne et ce que devrait être la République française. Cette dernière, sous les coups de boutoir des puissances d’argent et des communautarismes religieux, l’est de moins en moins. En voici quelques extraits :

« La république est la démocratie plus […] La république, c’est la liberté, plus la raison. L’État de droit, plus la justice […] La démocratie […] c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières. Opposer la république à la démocratie, c’est la tuer. Et réduire la république à la démocratie, qui porte en elle l’anéantissement de la chose publique, c’est aussi la tuer. […] Le gouvernement républicain définit l’homme comme un animal par essence raisonnable, né pour bien juger et délibérer de concert avec ses congénères. Libre est celui qui accède à la possession de soi, dans l’accord de l’acte et de la parole. Le gouvernement démocratique tient que l’homme est un animal par essence productif, né pour fabriquer et échanger. Libre est celui qui possède des biens, entrepreneur ou propriétaire. Ici donc, la politique aura le pas sur l’économie ; et là, l’économie gouvernera la politique ».

« Quand une république se retire sur la pointe des pieds, ce n’est pas l’individu libre et triomphant qui occupe le terrain. Généralement, les clergés et les mafias lui brûlent la politesse, tant il est vrai que chaque abaissement moral du pouvoir politique se paie d’une avancée politique des autorités religieuses, et d’une nouvelle arrogance des féodalités de l’argent. »

L’urgence de constituer un « bloc historique » populaire majoritaire(7) à la suite des deux tours de l’élection présidentielle se confirme avec la révélation de telles pratiques contraires à l’esprit d’une authentique république.

Article publié le 30 mai 2022.


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